Comment le malegaze contrôle la danse
L’histoire du spectacle de danse est intimement liée au regard masculin (ou male gaze). La danse ravit les yeux des messieurs, avec des costumes qui subliment les courbes des danseuses, des chorégraphies sensuelles, un imaginaire charnel et érotique. Avant que des artistes et chorégraphes ne se saisissent de leur corps comme outil féministe, ou que les danseuses ne réussissent à le détourner pour s’empouvoirer, petit panorama de l’histoire du pouvoir des hommes dans la danse.
Le ballet jusqu’au XIXème siècle
Quand le ballet connaît un nouvel essor au XIXème siècle, le public est essentiellement masculin. Viennent-ils réellement apprécier le talent des danseuses et leur art, ou plutôt leur corps … ?Souvent poussées par leur famille, les danseuses doivent séduire de riches hommes (des “protecteurs”) afin qu’ils aident celles-ci et leur famille à subvenir à leurs besoins. Quand un homme paie un appartement à la famille de la danseuse, il en profite pour avoir une chambre dans ce même immeuble pour avoir des relations sexuelles avec la ballerine.Louis Véron, administrateur de l’Opéra de Paris, permet aux abonnés de circuler en répétitions et en coulisses. Les mères saisissent l’opportunité de pousser leurs filles pour gagner un peu d’argent.Il est tout un circuit de proxénétisme autour des différents opéras de Paris de l’époque, que le peintre Edgar Degas dépeint très bien. Il pose un regard critique sur les aspects peu reluisants d’institutions en apparence respectables. Etant donné l’âge des danseuses, nous parlerions même aujourd’hui de pédocriminalité, en plus de proxénétisme.
Les cabarets, nouveau lieu de domination ?
Le ballet tend à devenir un lieu respectable, et le proxénétisme qui l’entoure perd de sa superbe.
Depuis le début du XIXème siècle, de nouveaux lieux de spectacle ouvrent leurs portes dans l'actuel 9ème arrondissement et le bas de Montmartre, qui ne sont intégrés à la ville de Paris qu'en 1860. Les taxes y sont moins chères, la répression moins sévères. La pègre et la prostitution y prennent alors leurs quartiers. Des cabarets ouvrent leurs portes dans presque chaque rue.
Une fois encore, le public est essentiellement masculin, et on n’y va pas tant pour apprécier la grâce des danseuses que pour expérimenter leurs compétences de maîtresses…Beaucoup de jeunes filles souhaitant débuter une carrière artistique se font embaucher dans ces nouveaux lieux de spectacles. Mais les propriétaires des lieux détournent ces soirées, qui deviennent un grand marché de proxénétisme : les clients-spectateurs assistent au spectacle de ces “agents lyriques” pour choisir la jeune femme avec qui ils passeront le reste de la nuit, dans un système bien organisé. C’est ce qu’on l’on appelle le trafic des planches.
En parallèle, des artistes vont profiter de leur notoriété comme d’une possibilité d’empouvoirement. C’est le cas de La Goulue, reine du Moulin Rouge, qui profite de sa renommée d’artiste pour asseoir son statut de semi-mondaine. Elle aura des relations avec les hommes les plus riches et puissants de l’époque, qui se damneront pour elle, la couvriront de cadeaux. Elle garde le contrôle de sa vie, reste indépendante avec son éternelle collier de chien autour du cou pour rappeler qu’elle est la propre maîtresse de sa vie et n’appartient à personne.
Pour en savoir + sur cette époque, nous vous invitons à découvrir la visite de Feminists of Paris "La libération sexuelle contée par des féministes hystériques".
Évolutions du cabaret et nouvelles danses aliénées
Le cabaret finit par devenir un haut-lieu de la culture française: un lieu chic, élégant, de danseuses glamours et inaccessibles. On n’imaginerait plus pouvoir coucher avec une danseuse à la fin de la revue du Moulin Rouge ! Le métier de danseuse finit par être reconnu en tant que tel, et uniquement.
En revanche, les danseuses sont toujours érotisées et fantasmées, certaines davantage que d’autres. La femme orientale a été une source de désir très puissante (et l’est encore), preuve d’un racisme bien ancré, résidu du colonialisme. Les danses orientales ont par conséquent subi la domination masculine, notamment en France. La pole dance également a pu être la suite d’une source de fantasmes, associée au strip-tease et shows érotiques. Ces danses sont pourtant des formes artistiques, et les acrobates au mât chinois ne souffrent pas de cette association d’idées… !
Et aujourd’hui ? Les danseuses souhaitent-elles susciter le fantasme, le désir ? Pourquoi dansent-elles, qu’est-ce que cela représente pour elles ? Quel est leur rapport au male gaze ?
On voudrait entendre la parole des danseuses sur ce sujet, et que la danse ne soit plus interprétée par l’homme. Que la danse devienne l’histoire de celles qui la font et non de ceux qui la paient. Pour cela, rendez-vous le lundi 9 mars pour une table ronde en compagnie de Jess Bennett, Scarlett Baya, Eden Weiss, Leo Poldine et Aude-Vie de Jouy, pour comprendre le métier d'artiste de cabaret.
Pour une histoire de la danse PAR les danseuses et POUR les danseuses.Que la danse soit synonyme d’empouvoirement et non d’aliénation !
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